Concerto pour vaches.

3 juin 2012 § 2 Commentaires

La petite fille traînait son violon derrière elle, comme le boulet d’un apprentissage trop lourd. Au loin, le brouhaha de la vie familiale emplissait le vide d’un paysage campagnard trop silencieux. Elle ne savait plus où jouer de son instrument ; son art naissant nuisait, semblait-il, à l’oreille experte des parents souhaitant la musique mais rêvant d’une virtuose qu’ils n’avaient pas.
Pourtant, elle l’était, virtuose : dans ses émotions, dans ses pensées, dans ses volontés, dans ses envies.
Elle se dirigea vers le fond du jardin, près d’une barrière de fortune qui laissait entrevoir toute la beauté des paysages de carte postale où sont vantées les merveilles bretonnes.
Elle se posa là, appuyée contre un piquet.
Elle prit son violon, son archet et grattouilla quelques cordes.
Des sons que le quidam pouvait juger insupportables volèrent dans les airs purifiés d’une région préservée.
Elle joua, reprit ses notes, ajusta son instrument et joua encore.
Au loin, de joyeuses vaches, ne demandant qu’à brouter tranquillement, notèrent la chose, et s’approchèrent de cette barrière où ce petit humain semblait émettre des sons qu’elles ne connaissaient pas encore.
Ces ruminants furent bientôt nombreux, tout proche de la petite fille et de son drôle d’outil à musique.
Dans l’intérieur de la maison, le père ruminait ses rancœurs : qu’ai-je donc raté ? Mon absence devrait être comblée par mon omniprésence quand je suis là ! Je suis musicien, je sais les lignes et les notes qui s’y collent, et ma fille fait crisser le crin sur des cordes qui gémissent de douleur… Mon dieu, elle finira fonctionnaire…
La petite fille s’en moquait. Les vaches étaient les spectateurs d’un début de vie musicale qui poursuivrait l’enfant dans les pénombres d’une mémoire facétieuse.
Il en faut, des souvenirs comme ceux-ci, pour faire de l’avenir l’envie de donner et d’offrir.
Aujourd’hui, elle offre une guitare à sa fille. La petite fille d’hier avait mis de côté les notes et les émotions de la musique, elle avait refusé d’admettre l’oreille qu’elle avait toujours eue, mais cette petite fille avec son violon n’avait jamais su disparaître et était toujours présente, pas seulement pour les regrets ou des douleurs du passé, mais pour dire à la femme d’aujourd’hui qu’elle était maintenant mère et qu’elle avait cette fille qui réclamait les notes et qui allait lui permettre d’oublier, enfin, les vaches et le violon.

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